Le torchon brûle entre l’Utap (Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche) et toutes les autorités officielles, notamment le ministère de l’Agriculture et, récemment, le ministère du Commerce. L’objet de la discorde, aujourd’hui, c’est l’importation des pommes de terre turques.
L’opposition de cette organisation à toutes les mesures prônées par le ministère est, quasiment, systématique. On l’a vu lors de l’importation des moutons de l’Aïd au cours des dernières années ou concernant le lait ainsi que pour d’autres produits agricoles.
Pommes de terre avariées ?
Cette intransigeance entre dans le cadre des activités des organisations professionnelles qui prétendent défendre les intérêts de leurs affiliés. C’est compréhensible. L’important, c’est d’obtenir le maximum à leur profit.
Mais, pour une fois, on peut admettre que dans le cas de l’importation des pommes de terre turques, l’affaire a pris une tournure qui pourrait donner raison à l’Utap. La polémique autour de cette transaction a laissé planer bien des doutes. Des affirmations mettant en doute la qualité des produits importés ont fusé de partout entraînant des précisions du côté du ministère du Commerce.
Selon le président de l’Utap, le marché conclu entre les autorités tunisiennes et la partie turque concernant l’achat de 5 mille tonnes de pommes de terre est « suspect». Des « analyses des laboratoires auraient démontré que les pommes de terre importées seraient impropres à la consommation et atteintes de maladies fongiques représentant un risque pour la santé humaine et susceptibles de polluer le sol lors de leur utilisation comme semences ».
Bien sûr, le ministère du Commerce a rejeté sèchement ces accusations en tenant à préciser que les importations s’inscrivent dans le cadre de la garantie de l’approvisionnement et la maîtrise des prix, à la lumière de la baisse de la production nationale, qui se situe entre 20 et 30 mille tonnes seulement et ne répond pas aux besoins du marché.
En outre, le ministère du Commerce avait fait remarquer que les importations répondent à tous les critères juridiques et sanitaires, assurant que l’Office du commerce importe plusieurs produits et dispose d’assez d’expérience pour mener à bien et comme il se doit les opérations d’importation.
Mais l’Utap ne l’entend pas de cette oreille et soutient qu’il y a anguille sous roche. Une telle opération est louche à plus d’un titre. D’abord, elle s’étonne que les autorités aient recours aux importations alors que notre agriculture est capable de répondre à la demande. Ensuite, elle ne s’explique pas le fait que le prix d’achat du kg de pommes de terre turques est plus élevé que le prix de sa vente en Tunisie. Ce dernier est très largement subventionné, alors que le prix du kg de pommes de terre locales est de loin inférieur.
Des « lobbies » de l’importation
Certes, ce débat n’est et ne sera pas le dernier entre cette organisation agricole et les autorités. Mais, à tout le moins, aurons-nous l’occasion de soulever une question cruciale touchant à l’importation tout court et à celle des produits disponibles au niveau national.
On s’interroge, en effet, sur la légitimité du recours aux produits étrangers que nous pouvons mettre à la disposition du consommateur. Pour quelle raison est-on obligé d’importer des marchandises à coup de devises alors que le besoin n’en est pas du tout évident ? La règle s’applique aux produits de luxe, exotiques, ou superflus. On cite les voitures de luxe, les produits esthétiques (parfums, cosmétiques…), les fruits exotiques (bananes, ananas, mangas…).
Notre balance commerciale peut bien se passer de ces importations et elle ne s’en sentira que mieux. Pourtant, on n’a pas l’impression que les autorités suivent ces conseils et se soumettent à cette exigence.
Le président de l’Utap évoque même « des lobbies » de l’importation. Et on ne peut que lui donner raison.
Car poursuivre dans cette voie ne peut que nuire à l’équilibre de nos échanges et ne peut qu’aggraver nos déficits.
Il faut limiter les importations en respectant des règles et des exigences qui tiennent compte des vrais besoins de notre économie. Chaque secteur est capable de recenser ces besoins et d’en fixer des listes exhaustives sans porter préjudice à notre production nationale. Il est temps, justement, que ces importations anarchiques cessent.
En contrepartie, nos industriels, nos agriculteurs et tous nos acteurs économiques s’engagent à compenser le manque par leurs produits. Pour les agriculteurs, par exemple, il faudrait garantir des marchandises en quantités suffisantes et à des prix raisonnables. Il ne faudrait pas qu’on interdise l’importation pour leur laisser le champ libre et monopoliser le secteur.
Exiger des mesures d’encouragement de l’Etat doit aller de pair avec des assurances d’une pérennité des approvisionnements et des marges bénéficiaires répondant au pouvoir d’achat du Tunisien.
L’Utap a le droit de défendre l’agriculture tunisienne et les intérêts des agriculteurs. Mais ce droit ne peut se faire aux dépens du consommateur tunisien.
Amor CHRAIET